Rousseau on Money II

Cela compris, on comprendra sans peine une de mes prétendues contradictions : celle d’allier une avarice presque sordide avec le plus grand mépris pour l’argent. C’est un meuble pour moi si peu commode, que je ne m’avise pas même de désirer celui que je n’ai pas ; et que quand j’en ai je le garde longtemps sans le dépenser, faute de savoir l’employer à ma fantaisie ; mais l’occasion commode et agréable se présente-t-elle, j’en profite si bien que ma bourse se vide avant que je m’en sois aperçu. Du reste, ne cherchez pas en moi le tic des avares, celui de dépenser pour l’ostentation ; tout au contraire, je dépense en secret et pour le plaisir : loin de me faire gloire de dépenser, je m’en cache. Je sens si bien que l’argent n’est pas à mon usage, que je suis presque honteux d’en avoir, encore plus de m’en servir. Si j’avais eu ja- mais un revenu suffisant pour vivre commodément, je n’aurais point été tenté d’être avare, j’en suis très sûr. Je dépenserais tout mon revenu sans chercher à l’augmenter : mais ma situation précaire me tient en crainte. J’adore la liberté. J’abhorre la gêne, la peine, l’assujettissement. Tant que dure l’argent que j’ai dans ma bourse, il assure mon indépendance; il me dispense de m’intriguer pour en trouver d’autre ; nécessité que j’eus toujours en horreur : mais de peur de le voir finir, je le choie. L’argent qu’on possède est l’instrument de la liberté ; celui qu’on pour- chasse est celui de la servitude. Voilà pourquoi je serre bien et ne convoite rien.

Jean-Jaquees Rousseau: Les Confessions; 1782

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